Politique d’un nom musulman

Mon fils de 7 ans fréquente une école publique française de la banlieue Est de Paris. Un soir, alors que nous rentrions de l’école, il m’a demandé avec curiosité pourquoi l’animatrice du centre de loisir mettait un foulard sur ses cheveux dès qu’elle sortait de l’école. J’ai répondu, sans trop réfléchir et un peu ennuyée par la question, qu’elle n’était pas autorisée par la loi à le porter sur son lieu de travail. Bien évidemment, par la suite j’ai été bombardée d’un milliard de questions par un enfant de 7 ans qui essayait de saisir la sémantique de la vie en France et dans une société multiculturelle. Son observation immédiate a été : « Mais ce n’est pas juste… ça ne devrait pas être obligatoire et le gouvernement devrait laisser les gens décider. », un point de vue très valable en effet avec lequel je ne peux pas être plus d’accord. « Je serais très ennuyé si le gouvernement ne me permettait pas de porter ma chemise Harry Potter à l’école. », a-t-il ajouté avec un ton assuré. Les enfants peuvent avoir une vision très simple d’une situation complexe. Mais ça nous a mené à discuter de l’idée de la laïcité en France et du fait que le voile est un symbole de croyance religieuse. La laïcité, le concept de laïcité d’État, est un principe fondamental de la république française, au même titre que la devise nationale de liberté, égalité, fraternité. 

Mon mari et moi sommes arrivés en France du Pakistan il y a 3 ans, avec notre fils alors âgé de 4 ans. Lorsqu’il est né, nous lui avons donné un prénom laïc plutôt qu’un prénom coranique, ce qui est la norme dans tout pays musulman. Nous ne savions pas à l’époque qu’il grandirait en France en tant que migrant. Toute ma vie, en tant que jeune femme luttant pour ma liberté individuelle, j’ai toujours refusé de porter le voile ou des vêtements conservateurs. Je pensais que personne n’avait à décider quel vêtement j’étais censée porter ou pas. Vingt ans plus tard, me voilà à vivre en France en tant que réfugiée politique et à réaliser un reportage sur une étudiante musulmane dont le voile a suscité un scandale, déclenchant de nombreuses déclarations politiques de la part du gouvernement français. Soudainement, je me suis retrouvée de nouveau très ennuyée, mais pour une raison différente. Je me sentais confuse. Je n’étais pas sûre de ma position, mais je suis arrivée immédiatement à la conclusion que si le fait d’imposer un vêtement à une femme est mauvais pour sa liberté, il est tout aussi oppressant de lui imposer de ne pas le porter. C’était ma première interaction avec la laïcité française. En général, j’apprécie en France, en tant que femme et en tant que personne laïque, de pouvoir vivre librement sans jugement moral de la société ou des autorités. Venant d’un milieu religieux, la vie ici me semble beaucoup plus facile et libre. En théorie, la laïcité favorise l’égalitarisme, rendant la religion privée. Je ne peux pas être plus heureuse de ça. Mais dans la société multiculturelle moderne d’aujourd’hui, est-ce que ça peut vraiment être aussi simple ?

Le fait que dès que tu prononces ton nom, les gens se mettent à calculer tout ce à quoi ça renvoie : « De quel pays venez-vous ? Quelle est votre religion ? Quelle est votre ethnie ? ». Par exemple, lorsque je monte dans un Uber et que le chauffeur répète mon nom en posant la question « Quelle origine ? » et quand tu lui dis que tu es originaire d’un pays musulman, il te répond « ah Mashallah tu es musulmane ! » avec mon français approximatif, je me contente de lui répondre « Oui ». 

En théorie, l’idée de garder la religion personnelle et privée semble assez peu réalisable dans la France plurielle et multiculturelle d’aujourd’hui et conduit à se demander si la laïcité imposée par l’État n’est pas aussi une discrimination envers une certaine religion. Nous sommes une famille laïque aux noms musulmans, la question qui se pose alors est de savoir où nous en sommes et quel sera l’avenir de mon fils en France ?

Sara Farid